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Salutaire résistance chypriote

Par Patrick Le Hyaric

samedi 23 mars 2013, par jallamion

Voici un fait inédit dans l’Union européenne : la pression populaire a conduit à ce qu’aucun parlementaire chypriote n’approuve le maléfique diktat concocté par le nouveau directoire des affaires européennes, baptisé « la troïka », – commission de Bruxelles, Banque centrale européenne et… Fond monétaire international -, aux ordres exclusifs de Mme Merkel. Celle-ci avait soutenu l’élection du nouveau Président de Chypre contre le candidat soutenu par les communistes. Ensemble ils avaient décidé de faire de Chypre un nouveau laboratoire pour tester le racket direct des comptes bancaires dès le premier euro. Ceci au mépris total de tous les engagements pris jusque là. Ils considèrent que ce hold-up sans armes à feu, permet de récupérer des milliards plus vite qu’avec la baisse des crédits publics, une réforme de la fiscalité, les attaques contre les retraites et la protection sociale. Encore que… ce plan austéritaire prévoyait de combiner l’impôt forcé sur les comptes bancaires des travailleurs et des petits épargnants et la privatisation de plusieurs entreprises ou la désindexation des salaires et des retraites sur les prix.

Ces attaques n’avaient pas été possibles jusque là parce que l’ancien Président chypriote, Dimitri Christofias, a toujours refusé d’appliquer les prétendus remèdes des docteurs bruxellois. Il s’est opposé des mois durant à la troïka, sous les critiques des institutions européennes et de la droite. On ne peut comprendre les difficultés de Chypre aujourd’hui sans les relier à la crise de la Grèce. L’effondrement des banques grecques a accéléré les difficultés de celles de Chypre, appâtées par le système européen qui leur permettait d’acheter des dettes du pays voisin à des taux d’intérêts élevés. Les banques chypriotes ont acheté de la dette grecque parce qu’elle était rémunératrice pour elles. Quand le secteur bancaire grec s’est trouvé en graves difficultés, les banques chypriotes en ont subi le contre coup de plein fouet. Refusant de laisser son secteur bancaire s’effondrer, l’Etat chypriote à dû garantir les dépôts. Les citoyens chypriotes ne sont donc en rien responsables de la situation. Ceci ne fait que renforcer la nécessité de rechercher un projet de solidarité européenne, écartant le hold-up sur les comptes des travailleurs et des retraités, la destruction des droits sociaux, les privatisations des entreprises publiques chypriotes qui rapportent jusque là au budget de l’Etat. Privatiser la compagnie d’électricité et l’aéroport de Larnaca, c’est se priver de fonds pour l’Etat, car ces entreprises sont bénéficiaires. C’est donc creuser le déficit qu’ils prétendent combler.

Les institutions européennes ont refusé cette voie pour, après des plans d’austérité appliqués dans plusieurs pays, tenter de passer à un cran supplémentaire dans la spoliation des fruits du travail. Elles ont pensé, en choisissant un petit pays où se développent des activités financières « off-shore » -ce qui leur sert d’argument aujourd’hui-, quelques jours après le retour de la droite, que cela pourrait marcher. Le peuple de Chypre vient de répondre : Non ! Nous devons le remercier.

Car, ce faisant, il rend un immense service à tous les peuples européens qui auraient été eux aussi en bute à de tels projets. Ceci était un test, quelques jours seulement après le vote définitif de ce que l’on appelle le « two-pack », qui vise à donner tout le pouvoir de contrôle et de décision des budgets nationaux à la Commission de Bruxelles. Il est évident que cette méthode aurait été appliquée aux autres pays.

Notre solidarité à l’égard du peuple chypriote et des forces progressistes doit se conjuguer avec la réactivation d’un débat sur un nécessaire traitement européen commun de la crise. C’est d’autant plus indispensable, que de dangereux enjeux géostratégiques se posent. La grande réserve de gaz au large de ce pays est convoitée par Israël comme par la Turquie, et les dirigeants russes seraient prêts à acheter ces concessions en contrepartie du paiement de la dette. Alors que se posent déjà des questions de frontières à Chypre même, du fait de l’occupation turque et que la territorialité maritime où se trouvent ces réserves de gaz est contestée, chacun comprend qu’une crise majeure pourrait se développer dans cette région qui se trouve à quelques kilomètres de la Turquie, de la Syrie et d’Israël. L’Europe ne doit pas se laisser entraîner dans cet engrenage. Elle doit pour cela légiférer pour une taxation des paradis fiscaux, aider à la désintoxication financière de Chypre pour contribuer à développer son industrie, son agriculture et ses services et non à les privatiser ; d’appliquer un prélèvement sur les comptes des oligarchies financières, d’aider à mettre en place un mécanisme de taxation des capitaux spéculatifs en contrepartie d’un rachat de tout ou partie de la dette par la Banque centrale européenne. Celle-ci doit par ailleurs aider à un nouveau financement de l’économie à Chypre et dans toute l’Europe.

C’est l’intérêt de tous les citoyens européens qui le commande désormais.

P.-S.

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