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L’esprit d’entreprise » à l’école : une atteinte à la laïcité

Tribune parut dans Rue 89

mercredi 8 mai 2013, par République et Socialisme

La principale critique que nous faisions du projet de loi d’orientation pour la refondation de l’école de la République de Vincent Peillon résidait dans l’accumulation de contresens et d’aveuglements idéologiques sur lesquels il repose. Le discours prononcé le 29 avril par le président de la République en clôture des assises de l’entrepreneuriat valide de fait notre analyse. Il offre en effet un condensé édifiant de ces déficiences dûment constatées.

François Hollande propose de « stimuler l’esprit d’entreprise » dans l’école, en prévoyant notamment de la sixième à la terminale un programme sur « l’entrepreneuriat ». Ce faisant, il décline les impasses idéologiques qui obscurcissent la loi d’orientation en discussion au Parlement, votée en première lecture par les députés et prochainement soumise aux sénateurs.

C’est d’abord remettre en cause de manière frontale la laïcité qui ne se résume pas au champ du religieux. Elle vise également à garantir la neutralité en mettant à distance tous les dogmes : celui du marché et de l’économisme triomphant doivent être maintenus hors de portée des enfants.

L’augmentation du nombre de stages en entreprises, outre qu’elle vise à formater les futurs salariés à la doxa libérale véhiculée au sein de l’entreprise, réduira en conséquence la part des savoirs transmis. En effet, les stages ne se traduiront pas par des heures supplémentaires pour les élèves. C’est donc accentuer la dérive minimaliste et utilitariste du socle commun de compétences instauré par la précédente loi d’orientation de 2005 de François Fillon et confirmé par la future.

La marotte de « l’adéquationnisme »

L’intrusion au sein de l’école des façons de penser de l’entreprise et des intérêts du monde économique constitue une régression. L’école de la République s’était mise en place en s’affranchissant de tous les intérêts locaux, clientélistes, cléricaux ou mercantiles. Il s’agit d’une évolution à rebours de la construction d’un cadre national garantissant au mieux une égalité territoriale même imparfaite. C’est en définitive ouvrir la voie à plus d’autonomie, à une balkanisation de l’école et une gestion managériale.

En filigrane se dessine la marotte de « l’adéquationnisme » dans le prolongement de l’imposition à l’institution scolaire de l’acte III de la décentralisation même morcelée en trois parties devant les inquiétudes exprimées au sein même de la majorité. Au motif que l’offre de formation devrait être en adéquation avec la réalité du bassin d’emploi correspondant, les libéraux voudraient assujettir l’école aux intérêts immédiats des entreprises locales.

C’est ainsi que la tentation est grande de la part de nombre de présidents de conseils régionaux socialistes de faire en sorte que « ceux qui financent les bâtiments décident aussi de ce qui se passent entre les murs ». Cet adéquationnisme de mauvais aloi renforce puissamment les enfermements dans des déterminismes territoriaux et sociaux que l’honneur de l’école est de combattre sans faillir.

Un projet de société qui se soumet à l’austérité

Ces aveuglements idéologiques se situent bien aux antipodes de la mission première d’une école de la République digne de ses valeurs : combattre toutes les formes d’aliénation, favoriser l’émancipation. Rien dans les propos présidentiels n’y concourt :

•ni la conformation annoncée à la culture entrepreneuriale ;

•ni le rabougrissement programmé des savoirs ;

•ni la mainmise encouragée d’une oligarchie de possédants sur l’institution scolaire ;

•ni la territorialisation de l’enseignement contraire au principe d’unité et d’indivisibilité de la République.

L’actuelle majorité doit changer urgemment de logiciel en matière d’éducation, sans quoi les ruptures idéologiques avec l’ancienne ne relèveront malheureusement que du champ du cosmétique. Plus que jamais, l’école a besoin d’un projet de société de transformation qui seul lui permettra de remplir pleinement ses missions que le triptyque « instruire, qualifier, émanciper » résume au mieux.

Les propos présidentiels montrent que l’institution scolaire ne sert qu’à masquer tant bien que mal carences et renoncements d’un projet de société qui se soumet à l’austérité et ignore la réalité de la lutte des classes. Car s’en remettre à l’esprit d’entreprise comme seul viatique, c’est ni plus ni moins brader l’idéal d’émancipation.

Par Francis Daspe [1]

P.-S.

Notes

[1] Francis Daspe est président de la Commission nationale éducation du Parti de Gauche. Il est aussi secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale – Prométhée).

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