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Secrétariat National de République et Socialisme : Contribution aux débats

Enseignement supérieur et recherche 2012 : retrouver le service public

samedi 21 mai 2011, par République et Socialisme

Le secteur de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR) a connu des bouleversements considérables depuis 2005. C’est un domaine où la droite a avancé avec détermination et réussi avec brutalité à imposer de nombreux changements dans l’organisation du secteur. Valérie Pécresse n’arrête pas de proclamer que c’est un grand succès du gouvernement Fillon. Sur la base de nombreux mensonges et parce que les effets les plus délétères de sa politique, dénoncés par toutes les instances représentatives des personnels, commencent seulement à se concrétiser fortement, son discours passe encore, avec la complaisance de la plupart des médias.

1) L’état des lieux

Avant de présenter des propositions pour une autre politique de développement du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche, il convient de faire un rappel des événements de ces dernières années. Ce n’est pas simple. On peut dégager trois étapes : le pacte pour la recherche, la LRU et le grand emprunt, auxquelles il convient d’ajouter le développement exorbitant du crédit d’impôt recherche.

a) Loi de programme pour la Recherche (Pacte pour la recherche, 2006)

Avec le Pacte pour la recherche, c’est la création d’agences « indépendantes », l’Agence national de la recherche (ANR) et l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES). La mission de l’ANR est de mettre en place le financement sur projet de la recherche au lieu du financement principalement récurrent, détruisant ainsi les capacités de programmation scientifique aussi bien au niveau national pour le CNRS, principal organisme de recherche, que local pour les laboratoires qui n’ont plus aucune autonomie de fonctionnement. La conséquence la plus grave aujourd’hui est l’explosion de la précarité, qui devient structurelle, puisqu’une large proportion des financements est sur projet.

Un autre aspect important de l’ANR, commun avec l’autre agence pour l’évaluation, l’AERES, est de marginaliser les conseils élus qui jouaient un rôle central au CNRS et dans les universités au profit d’un fonctionnement de cooptation opaque, de passer d’un système collégial à un système de management autoritaire. L’AERES est rejetée par la quasi-totalité du secteur. Elle a une très faible légitimité et est boycottée par une partie des chercheurs qui refusent de participer aux expertises. Elle a des difficultés de fonctionnement qui ont conduit récemment à la réduction de la fréquence des évaluations.

Pour l’ANR, les positions sont plus partagées, une partie des personnels ayant une opposition de principe au financement sur projet, une partie considérant qu’un tel financement est un complément utile au financement récurrent des laboratoires. Les critiques se focalisent alors sur l’équilibre entre le volume des financements récurrents et des financements de l’ANR, sur le fonctionnement opaque de l’agence avec des comités formés par cooptation et sur la question de pilotage de la recherche avec des appels d’offre favorisant des thématiques précises et tournées vers les débouchés industriels. Le gouvernement a lâché du lest sur ce dernier point en augmentant la part des appels d’offre « blancs » c’est-à-dire sans cadre thématique prédéterminé.

b) Loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU, 2007)

On a davantage parlé de la LRU, qui a entraîné à retardement, au moment des décrets d’application au premier semestre 2009, un grand mouvement de revendication dans les universités. La LRU repose sur une tromperie sémantique : elle prétend consacrer l’ « autonomie des universités », une notion a priori positive, alors qu’elle transfère de nombreuses charges administratives aux établissements sans contrepartie financière suffisante, que l’étranglement budgétaire qui en résulte livre l’université aux décisions autoritaires du gouvernement et aux appétits potentiels du secteur privé. Comme pour les agences, elle fait passer le fonctionnement interne de l’université d’un système collégial à un système de management autoritaire, entre les mains d’un président et de son entourage réduit.

c) Investissements d’avenir (grand emprunt, 2011)

La dernière étape, c’est le grand emprunt. Contrairement aux étapes précédentes, il ne s’agit pas de dispositifs législatifs, mais d’un processus entièrement piloté par le gouvernement à l’écart de tout discussion démocratique que ce soit au parlement ou dans les instances professionnelles. L’impact structurel est potentiellement énorme mais entièrement caché. Le grand emprunt c’est d’abord un montage financier délirant : l’état emprunte de l’argent, le capital emprunté est attribué à des projets universitaires qui se financent sur les intérêts de l’argent après replacement. Deux astuces : les intérêts de l’emprunt ont déjà été déduits des budgets récurrents tandis que les produits financiers viendront plus tard et pas au même endroit ! Les sommes d’argent ne vont pas être énormes mais leur redistribution va entraîner des modifications majeures de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche en France sans qu’aucun débat politique n’ait eu lieu, puisque tout est caché dans la procédure technique du grand emprunt. L’idée générale est de concentrer les finances sur un petit nombre de pôles déclarés excellents. Pour faire sérieux, des appels d’offres sont lancés et des experts internationaux sont mobilisés en masse pour sélectionner ces pôles. En fait tout est connu d’avance et si par malheur les experts n’ont pas deviné la bonne réponse, on change les règles du jeu. De toute façon personne ne les connaît vraiment et tout repose sur le copinage, si possible très haut placé à Matignon et à l’Elysée.

L’enseignement supérieur et le recherche se trouvent aujourd’hui dans une situation de crise sans doute plus grave que celle qui a conduit au grand mouvement de 2009 : effondrement des crédits réels des laboratoires au profit de l’enrichissement virtuel de quelques uns, déstabilisation complète des structures existantes au profit d’appellations ronflantes aussi opaques qu’inconsistantes, stérilisation croissante de l’activité des personnels détournée vers la réponse à des appels d’offres avec un taux de succès en forte décroissance, et finalement mise en œuvre de la RGPP dans les organismes de recherche et bientôt à l’université. Les présidents d’université qui ont joué la carte de LRU sont décrédibilisés puisque toutes les décisions du grand emprunt ont piétiné la prétendue autonomie des universités et que la mise à l’écart de régions françaises entières au profit de quelques grands centres met à mal la cohésion du lobby qu’ils ont constitué. La logique qui sous-tend l’ensemble du processus piloté par le gouvernement est la mort du service public de l’enseignement supérieur au profit de la création de quelques pôles d’ambition mondiale en conformité avec la stratégie de Lisbonne visant à créer un marché mondial de la connaissance et la mort lente du reste.

d) Crédit d’impôt recherche (CIR)

Le seul poste budgétaire qui bénéficie d’une hausse réelle et énorme est le crédit d’impôt recherche qui distribue sans contrepartie et sans évaluation des avantages fiscaux exorbitants à des entreprises privées, principalement les grands groupes qui n’ont cessé de liquider leur activité de recherche interne et qui continuent dans cette voie. Seule une infime proportion va aux destinataires légitimes que pourraient être les petites entreprises innovantes. Le CIR s’ajoute à l’étranglement de la recherche publique dans la logique de vassalisation de celle-ci aux intérêts privés industriels et financiers.

2) Nos propositions

Nos propositions s’articulent suivant deux volets : des mesures conservatoires à effet immédiat pour enrayer l’effondrement en cours de l’ESR et des décisions de principe pour démontrer notre volonté de reconstruire le service public de l’enseignement supérieur sur de nouvelles bases. Ces décisions seront suivies d’une large concertation avec tous les représentants du secteur pour la définition d’une nouvelle organisation.

a) Mesures conservatoires immédiates

Ces mesures concernent principalement le fonctionnement interne de l’ESR.

- réorienter d’urgence la totalité des autres lignes budgétaires de la recherche vers le financement récurrent

- financements sur projet, principalement à l’ANR. transfert aux organismes et aux universités de la totalité des crédits d’équipement et de fonctionnement et de ceux affectés aux personnels sur CDD. Ces derniers doivent venir à l’appui de la création d’emplois titulaires en limitant le recours aux CDD à des cas particuliers strictement encadrés, tels que celui des visiteurs étrangers.

- financement du grand emprunt, géré par l’ANR gel de toutes les décisions prises en 2011 dans des conditions scandaleuses et rediscussion de leur affectation dans le cadre de décisions globales sur l’avenir du grand emprunt.

- crédit impôt recherche transfert aux budgets de la recherche publique de la plus grande partie du CIR dont seule une proportion modérée doit pouvoir bénéficier à des petites entreprises sous la condition expresse d’une évaluation scientifique réalisée par les instances d’évaluation de la recherche publique

- interrompre le processus en cours d’individualisation des rémunérations sur un fond de paupérisation de la majorité, réorienter la totalité des crédits affectés à l’attribution de primes vers l’amélioration du traitement de tous.

- stopper immédiatement et définitivement l’application de la RGPP qui a été entamée à la hussarde en octobre 2010 dans les organismes de recherche

- dissoudre l’agence d’évaluation AERES, effectuer temporairement les fonctions d’évaluation indispensables suivant les modalités antérieures à la création de l’agence avant que de nouvelles modalités ne soient définies collectivement.

b) Décisions de principe à annoncer immédiatement

Ces décisions concernent principalement le rôle de l’ESR dans le cadre du service public.

- réaffirmer la mission prioritaire du service public de l’enseignement supérieur et la recherche en termes de l’égal accès à la formation supérieure de tous les jeunes français quelque soit le lieu d’habitation, les revenus et le milieu socioculturel de leur famille, et de l’offre aux jeunes étrangers qui le souhaitent d’une formation supérieure dans une vision de contribution au développement, à la coopération entre les peuples et au rayonnement de la culture française. Il s’agit d’une rupture complète avec la philosophie impulsée par le gouvernement, mise en œuvre par une partie des présidents d’universités et fréquemment soutenue par les exécutifs régionaux. Dans le cadre de la stratégie de Lisbonne qui vise à créer un marché mondial de l’éducation, il s’agit aujourd’hui de dégager un petit nombre d’universités de taille mondiale, susceptibles d’être compétitives dans un marché globalisé et s’autofinançant sur la base de frais d’inscription exorbitants et de financements privés. Il s’agit d’un nivellement culturel autour d’un modèle unique à connotation néo-libérale anglo-saxonne. Un tel fonctionnement existe déjà en France pour un certain nombre de grandes écoles privées, en particulier de commerce.

- repenser le concept d’autonomie qui doit s’insérer dans un fonctionnement collectif au niveau national. Discuter des relations nécessaires entre des universités autonomes dans le cadre d’un service public national de l’enseignement supérieur. Rechercher des solutions à la dérive en cours vers un ensemble d’établissements placés en compétition, dérive rappelant les difficultés qu’ont les exécutifs régionaux à coordonner leurs politiques dans un contexte de décentralisation.

- reconstituer le fonctionnement démocratique à l’université et dans les organismes de recherche avec alignement sur des principes démocratiques de la composition des conseils d’administration et de l’élection du président. Renforcer le rôle des élus nationaux et locaux dans les conseils. Transformer le rôle consultatif des conseils centraux, en particulier scientifiques, dans les organismes et les universités en un rôle décisionnel sous la condition d’une majorité qualifiée à définir. Décentraliser fortement le fonctionnement sur la base de l’autonomie des entités disciplinaires et ramener la présidence à un rôle de gestion, d’arbitrage et de représentation.

- repenser l’organisation de l’évaluation de la recherche et d’enseignement supérieur suivant les principes de l’universalité et de la collégialité

Les principes énoncés ci-dessus sont incompatibles avec le pacte de la recherche, la LRU et le grand emprunt dans leurs principes et dans leur mise en oeuvre. C’est aussi la stratégie de Lisbonne et la construction marchande et anti-démocratique de l’Union européenne qui doit être remise en cause.

Il ne faudrait cependant pas croire qu’un retour à la situation antérieure serait satisfaisant. La communauté scientifique s’était exprimée en 2004, dans le cadre d’Etats Généraux de la Recherche, elle a fait une analyse des difficultés du système et des propositions concrètes pour les atténuer. Ces propositions ont été utilisées et dévoyées par le gouvernement, avec l’aide d’une partie de la communauté universitaire qui a défendu ses intérêts. Il en résulte aujourd’hui une grande méfiance envers le monde politique et en particulier le Parti socialiste qui persiste dans son incompréhension des enjeux. Ainsi le forum des idées organisé par le PS le 18 mai 2011 à Toulouse sur le thème de l’ESR ne donne la parole à aucune organisation représentative du personnel mais à quatre présidents d’université, alors que le lobby que constitue la conférence des présidents d’universités (CPU) est discrédité dans la communauté universitaire.

Pour République et Socialisme, s’il revient à la volonté générale à travers ses représentants élus de définir les missions de l’enseignement supérieur et de la recherche, ce n’est pas par une consultation alibi mais par une révolution démocratique des services publics comme des entreprises, par l’élimination de l’autoritarisme technocratique et capitaliste, que la république sociale que nous appelons de nos vœux pourra se construire.

Contact : B. Jussurand bernard.jusserand@laposte.net

Ou Secrétariat National R&S webmaster@republiqueetsocialisme.fr

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