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LA SOUVERAINETE EN MATIERE ECONOMIQUE : UN ENJEU SOCIAL, UNE AFFAIRE REPUBLICAINE

vendredi 3 février 2012, par République et Socialisme

Pour République & Socialisme, la maîtrise de leviers de commande économique par les pouvoirs politiques légitime, agissant dans le cadre de débats impliquant les citoyens, constitue non seulement une exigence démocratique mais aussi le meilleur remède contre les abus et les excès du libéralisme financier. L’état de morosité ambiant n’est pas dû seulement aux difficultés économiques que connait – depuis longtemps parfois – une partie de nos concitoyens, ni même à la crainte que ressent une autre partie (les classes moyennes) de les subir à leur tour, ce qui leur est annoncé pour 2012. Elle tient au moins à deux facteurs plus globaux : la transformation des rapports mondiaux, qui se traduit par un nouveau partage de la production et de la consommation moins favorable aux économies occidentales, d’une part, et d’autre part le sentiment de ne plus avoir de marge de manœuvre. De cette tension peuvent résulter de la résignation ou de la révolte. Pour que cette révolte soit utile, il importe d’expliquer dans quel sens elle doit s’orienter.

1) La transformation des rapports mondiaux

1.A) un rééquilibrage légitime…

L’émancipation du Tiers-monde est une aspiration légitime et il faut s’en féliciter, même si les conditions dans lesquelles elle s’est effectuée continuent de prêter le flanc à la critique. Depuis cinquante ans, le mouvement d’indépendance est trop souvent demeuré une façade derrière laquelle les pays occidentaux s’approvisionnaient en matières premières à bon marché. Mais désormais, il y a fort à parier que les pays « du sud » vont réellement prendre leur indépendance et faire valoir – légitimement – le rapport de forces qui leur est plus favorable : ils ont les matières premières et un poids démographique croissant. Au passage, on peut se poser la question de savoir au profit de quels bénéficiaires locaux, mais c’est l’affaire des citoyens autochtones concernés d’en décider. En tout état de cause, il est logique que la part des pays occidentaux, encore dominante, diminue et en quelque sorte rentre dans le rang. Encore faille-t-il combattre l’ingérence politique musclée des grands groupes sur les choix politiques des pays non-émergés, africains notamment.

D’autre part, nous sommes davantage soucieux d’économiser les matières premières non renouvelables, ce qui est de nature soit à les enchérir soit à nous obliger à en organiser autrement la consommation (principalement en la réduisant).

Dans ce contexte, il n’est pas absurde de prétendre que les sociétés occidentales ont vécu au-dessus de leurs moyens : leur développement durant les Trente glorieuses s’est fait grâce à un essor démographique qu’elles ont perdu, avec des matières premières bon marché (pétrole, minerais…) et avec d’importants débouchés sur les marchés domestiques. Avec une moindre proportion d’actifs et des ressources naturelles à un coût plus cohérent avec leur rareté, la situation n’est objectivement plus la même.

1.B) …mais qui ne doit pas tout justifier

La perspective d’une baisse tendancielle de l’influence des pays occidentaux n’est donc pas une vue de l’esprit, elle est logique. Pour autant, cela ne doit pas nous conduire à brader nos intérêts. Il faut faire la part des choses. Il serait en effet naïf ou injuste de croire que la pauvreté dans les pays de sud est généralisée (ni qu’elle signifie mécaniquement misère et tristesse) ou qu’elle soit le fait de l’égoïsme des classes moyennes ou des classes populaires des pays occidentaux. En réalité, et cette tendance s’aggrave, il y a massivement un creusement des inégalités à l’intérieur de tous les pays du monde. Les riches des pays riches s’enrichissent et les riches des pays pauvres s’enrichissent aussi ; les pauvres des pays riches et les pauvres des pays pauvres s’appauvrissent. Parfois s’esquisse l’essor d’une classe moyenne (en Chine, par exemple) mais cela se fait au détriment d’autres populations locales (les populations rurales chinoises) ou d’ailleurs (le sort des travailleurs occidentaux). En outre, la main-mise des grands groupes sur la délocalisation industrielle qui organise une fausse concurrence au détriment des ouvriers européens et américains ne profite réellement aux travailleurs censés en être les bénéficiaires.

2) Le sentiment de ne plus avoir de marge de manœuvre

2.A) un sentiment juste…

Le désarroi est d’autant plus grand que les citoyens de nos pays démocratiques constatent l’impossibilité de peser sur leur avenir autrement que par des comportements strictement individuels. En premier lieu, les démocraties sont en crise en raison du comportement des élus et du dysfonctionnement ou du dévoiement des institutions. A cet égard, République & Socialisme renvoie à ses propositions en matière de réforme des institutions, qu’elles soient locales, nationales ou communautaires. Le plus grave épisode est certainement le mépris systématique opposé aux résultats démocratiques défavorables à une certaine « construction » de l’Europe (référendums au Danemark en 1992, en Irlande en 1997, en France et aux Pays-Bas en 2005) ou à une certaine orientation économique (tournants de la « rigueur » en France en 1983 et 1995, plans Hartz en Allemagne en 2000, politique de Papandréou en Grèce à partir de 2009…).

Ensuite, il faut bien constater que les pouvoirs publics nationaux ont perdu énormément de pouvoir sur le cours des événements :
-  perte du contrôle direct d’acteurs économiques du fait des dénationalisations opérées depuis trente ans dans nos pays : banques, assurances, producteurs d’énergie, gestionnaires d’autoroutes et autres grands équipements, industrie…
-  perte du pouvoir commercial, délégué à la Commission européenne et/ progressivement abandonné de manière irréversible aux libre-échange de l’OMC
-  perte du pouvoir monétaire, transféré à la Banque centrale européenne (BCE) indépendante du pouvoir démocratique
-  perte du pouvoir normatif, transféré pour une grande partie à la Commission européenne et à la Cour de justice de l’Union européenne
-  perte du pouvoir de contrôle, délégué ou abandonné à des structures privées supposément plus efficaces que les fonctionnaires (qu’il s’agisse des agences de notation financière ou des certificateurs de prothèses mammaires)
-  perte du pouvoir budgétaire résultant des choix fiscaux (concurrence fiscale plutôt que coopération entre les états, d’où la baisse généralisée de l’imposition sur les hauts revenus du travail et sur les revenus du capital) et de la soumission idéologique à la domination des « marchés »
-  etc.

En contrepoint de l’affaiblissement des pouvoirs politiques, pris en contradiction entre les attentes croissantes à leur égard et leur incapacité de plus en plus manifeste, les pouvoirs économiques privés ont pris une importance considérable, qu’ils n’avaient plus depuis le début du XXème siècle. Le (petit) bras de fer entre les « marchés » financiers et les états européens l’illustre parfaitement.

2.B) …mais qui résulte de choix qu’il faut remettre en cause

La perte de substance des pouvoirs politiques, donc de la démocratie, n’est pas un fait naturel. Elle est le produit de choix politiques, notamment :
-  le choix d’interdire aux Etats d’emprunter à la banque centrale (France 1973, suivie par les autres états européens), ce qui a eu pour effet, en contrepartie de la limitation de l’inflation, de gonfler les dettes publiques car les banques commerciales prêtent à beaucoup plus cher,
-  le choix de privatiser (Thatcher, Balladur, Jospin ; logique assignée à l’Organisation mondiale du commerce et contenu donné à l’Accord général sur le commerce des services, traité de Marrakech 1994)
-  le choix de confier l’organisation économique à des instances indépendantes de l’électeur (Commission européenne avec le traité de Rome confirmé par le traité de Lisbonne, Banque centrale européenne avec le traité de Maastricht confirmé par le traité de Lisbonne, Organisation mondiale du commerce déjà citée…)
-  le choix de privilégier la rémunération du capital (idéologie de la « création de valeur » pour l’actionnaire, lutte aveugle contre l’inflation) plutôt que la rémunération du travail considérée systématiquement comme un « coût » (Angleterre 1979, France 1983, Allemagne 2000), chômage entretenu pour calmer les revendications salariales, concurrence croissante…
-  le choix de placer états, entreprises et individus en concurrence internationale sans protections (politique commerciale de l’Union, Organisation mondiale du commerce, culte de la concurrence « libre et non faussée » en réalité libre et faussée là où il faudrait une concurrence « non libre et non faussée »)
-  le choix de ne pas contrôler les échanges de capitaux et de laisser prospérer les paradis fiscaux (traité de Luxembourg, traité de Maastricht confirmés par le traité de Lisbonne) et de ne pas mettre en place des politiques fiscales
-  le choix de ne pas lutter contre la spéculation mais au contraire de la favoriser (déréglementation financière et bancaire, fin de l’encadrement du crédit…)
-  le choix d’élargir l’Union européenne à des économies hétérogènes et de placer plusieurs d’entre elles sous une même monnaie sans mettre en place des systèmes de redistribution suffisant, faisant de la compétitivité par les coûts (salaires, impôts et cotisations sociales, donc emploi, action publique et protection sociale) la seule variable d’ajustement
-  le choix de favoriser la concentration à l’avantage de groupes de plus en plus gros, de plus en plus dominants, au détriment des petites entreprises.

Il faut avoir en tête les intérêts qui ont été privilégiés et les autres intérêts au détriment desquels ils l’ont été. La mise en concurrence généralisée et la libre circulation des marchandises et des capitaux favorisent les « acteurs économiques » mobiles, c’est-à-dire les détenteurs de capitaux qui vont et viennent au gré des rendements les plus juteux ; les travailleurs, eux, ne sont guère mobiles et subissent plus qu’autre chose.

Pourtant, la masse des citoyens modestes ne doit pas se résigner : elle demeure la source de la souveraineté populaire, elle détient donc la légitimité du pouvoir démocratique. Reste à savoir dans quel sens agir.

3) Dans quel sens agir

3.A) discuter de l’effort nécessaire puis répartir l’effort plus justement

Si les rapports de force économiques mondiaux ont changé et continueront de changer, il ne faut pas cependant céder à la panique. Il faut faire le tri entre les rééquilibrages légitimes (indépendance réelle des pays du sud en particulier) et ceux qui ne le sont pas (concentration de la richesse et du pouvoir au profit de ploutocrates dans tous les pays ; mise en concurrence commerciale déloyale au regard des intérêts sociaux et environnementaux des travailleurs).

Ensuite, si on peut admettre le principe selon lequel l’économie nationale doit éviter la récession et l’Etat éviter le déficit budgétaire, il reste le choix de la répartition de l’effort et de la manière d’en réduire l’effet négatif : il peut porter sur les travailleurs comme c’est l’orientation depuis une trentaine d’années (stagnation du pouvoir d’achat, intensification du travail aboutissant à ce que les travailleurs paient en réalité par eux-mêmes la réduction du temps de travail lorsqu’elle a lieu (France 2000), transfert de droits communs de sécurité sociale vers des services complémentaires à payer à des sociétés privés, etc.) ou les faire porter davantage sur le capital (taxation des transactions financières, diminution des subventions aux placements immobiliers privés, retour à une imposition moins favorable aux (très) hauts revenus – de préférence en harmonie avec les états voisins - etc.).

On peut encore proposer – mais il sera difficile de convaincre tous les états concernés – que la politique monétaire soit réorientée. L’objectif unique poursuivi par la Banque centrale européenne (conformément à ses statuts) est la stabilité des prix, l’idée étant ainsi de protéger le capital de l’érosion monétaire (l’inflation). Hormis l’Allemagne (voire des Pays-Bas et de l’Autriche) qui constitue une exception monétaire depuis l’origine puisque le mark n’a jamais cessé de prendre de la valeur, cette politique ruine l’économie européenne : l’Euro « fort » a en effet pour conséquences de favoriser les importations et de pénaliser les exportations, ce qui est exactement le contraire de l’intérêt des travailleurs européens !

3.B) proposer de nouvelles règles du jeu

Le débat actuel – mais y a-t-il débat ou invectives ? - sur le prétendu « fédéralisme budgétaire » européen pose une fois de plus la question de la nature de l’Union européenne, et ce sujet a directement à voir avec la question de la souveraineté. Il y aurait fédéralisme si les peuples de l’Union européenne décidaient de ne plus faire qu’un et convenaient d’exercer au niveau fédéral leur souveraineté devenue unique. Tel n’est pas le cas du prétendu « fédéralisme » budgétaire puisqu’il s’agira en fait, dans le droit fil du traité de Rome initial et des traités suivants, de renforcer les pouvoirs des instances techniques au détriment des instances élues.

L’union européenne a certes des allures démocratiques et en présente certaines caractéristiques : un parlement élu au suffrage universel et un conseil des ministres où siègent les représentants des gouvernements nationaux tous dotés de la légitimité démocratique ; la composition de la Commission européenne doit être ratifiée par le Parlement européen ; et il existe une cour de justice de l’Union européenne. Tout cela donne un vernis de séparation des pouvoirs. Mais il faut rappeler qu’il s’agit largement d’une illusion : la Commission a été conçue pour être au-dessus des intérêts nationaux, la Cour de justice établit l’essentiel du droit communautaire en dehors du regard des peuples, le Parlement n’a aucune initiative, est sous l’influence directe des divers lobbies et sert surtout d’alibi ; les gouvernements – dont certains agissent sans consulter leur parlement national – se servent couramment de l’Union pour assumer leur propres turpitudes ; surtout, les traités successifs n’ont cessé d’encadrer les politiques possibles au point que la souveraineté populaire est muselée.

On peut de bonne foi être tenté par le saut fédéral et tabler sur des institutions réellement démocratiques à l’échelle européenne : un parlement européen élu au suffrage universel uniforme et doté du pouvoir d’initiative et du pouvoir budgétaire, un gouvernement responsable devant lui et s’appuyant sur la Commission devenue une simple administration, etc. Mais outre les difficultés à se mettre d’accord au niveau européen sur de telles institutions – ce qui paraît insurmontable en soi – il faut tenir compte des histoires, des cultures, des économies, des structures, des langues et parfois même des intérêts différents des divers peuples européens. Il paraît alors fort aventureux d’abandonner un jeu national certes imparfait mais néanmoins démocratique pour un jeu politique européenne qui présente tous les risques d’échapper encore davantage au contrôle des citoyens.

Conclusion

Briser l’économie en espérant ainsi rétablir les comptes est stupide. Entretenir une monnaie européenne surévaluée – qui favorise les importations et pénalise les exportations – est une aberration. Soumettre le pouvoir budgétaire des parlements nationaux à l’autorisation préalable de la commission européenne est un scandale. Prétendre instituer une Europe démocratique en empêchant juridiquement, monétairement et budgétairement toute politique alternative, traités après traités, est un mensonge.

En définitive, il est essentiel de dire et de répéter que la politique et n’économie ne sont pas des affaires qui se peignent uniquement en noir ou en blanc mais qu’elles doivent se teinter de toutes les nuances de gris, que les citoyens ont le droit de foncer ou éclaircir en fonction de leurs choix démocratiques. Ainsi :

-  critiquer le fonctionnement de l’Union européenne ne signifie pas être hostile à l’amitié et à la coopération entre les peuples européens,
-  on peut se méfier de l’inflation galopante sans pour autant faire de la lutte contre l’inflation le but ultime de la politique économique,
-  on peut continuer de commercer tout en appliquant des barrières douanières, sociales ou environnementales ; que ces protections peuvent être de degrés différents selon la nature de l’échange et selon celui avec qui on l’opère
-  on peut alourdir la fiscalité sur les hauts revenus sans les spolier, et la détermination de ce qu’est un haut revenu est elle-même une affaire de nuance
-  on peut refuser le droit de vote aux étrangers sans être pour autant un affreux xénophobe mais en étant au contraire un républicain soucieux de ne pas donner à la nationalité française un contenu autre que celui de la citoyenneté
-  une monnaie « forte » n’est pas forcément souhaitable ni d’ailleurs une monnaie « faible » une panacée
-  on peut légitimement souhaiter l’organisation du commerce international par une instance dédiée et par des traités sans se satisfaire des règles de l’Organisation mondiale du commerce
-  le travail n’est pas seulement une affaire de longueur de la carrière mais aussi de durée hebdomadaire, de durée annuelle, d’intensité, de trajets plus ou moins longs, d’horaires plus ou moins décalés, de pénibilité physique ou mentale plus ou moins grande, de rémunération, de sens…
-  un régime politique n’est jamais purement parlementariste ou purement présidentialiste ; le parlementarisme et le présidentialisme ont chacun des avantages qui sont dosables à l’infini
-  on peut être socialiste sans être membre du Parti socialiste, et membre du Parti socialiste sans être socialiste (c’est même très courant)
-  la « croissance » économique peut être de différentes natures
-  etc.

Cela ne signifie pas qu’il faille tout relativiser, que tout se valle : il y a des choix à opérer. Mais précisément il faut rappeler sans cesse que la faculté de choisir existe et qu’il existe toujours la faculté de prendre le pouvoir pour changer de politique démocratiquement.

République & Socialisme, 13 janvier 2012

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