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Interview de Didier Motchane pour marianne 2

Source marianne 2

dimanche 16 septembre 2012, par jallamion

D. Motchane a co-fondé le CERES avec JP Chevènement, P. Guidoni et A. Gomez. Il est notamment l’auteur de :

- Voyage imaginaire à traver les mots du siècle, Fayard, 2010

- Les années Mitterrand, Bruno Leprince , 2011

Quelle est votre appréciation des 100 premiers jours de François Hollande et du gouvernement Ayrault ?

Par la force des choses, dans les premières semaines de l’entrée en fonction d’un nouveau gouvernement, le jeu se situe essentiellement sur le domaine du symbolique. C’est essentiellement à partir de maintenant que la plupart des décisions annoncées sont susceptibles d’être prises. A quelques exceptions près, comme notamment le relèvement du plafond du Livret A - décision significative qui affecte une masse importante de l’épargne au logement social - les actions ont été surtout d’affichage. Mais on sait combien les symboles sont importants en politique.

Quant à la suite, il me semble que le jeu est encore très ouvert, d’autant plus que le président de la République s’est essentiellement cantonné, pour l’heure, à des déclarations de principe. De plus, lorsqu’on observe les gens qui constituent son entourage, on constate une assez grande diversité des profils.

Pour ma part, je crois que ne pourront être considérées comme significatives que les mesures qui porteront atteinte aux inégalités. Je pense en particulier à la mesure la plus facile et rapide à mettre en œuvre : la réforme de la fiscalité. Si la réforme fiscale promise est importante, si elle marque un virage net, elle aura un caractère décisif. Elle donnera véritablement sa couleur au quinquennat.

Vous ne rejoignez donc pas les critiques virulentes du Front de gauche ?

Je me retrouve dans un certain nombre des thèmes chers au Front de gauche. Pour autant, je ne partage pas la tendance à l’imprécation – parfois précipitée – de Jean-Luc Mélenchon. La manière tonitruante dont il exprime son désaccord a sans doute de bonnes raisons rhétoriques, mais je préfère être attentif à ce qu’il propose plus qu’à ce qu’il dénonce. Il est plus utile et plus efficace de dire, de répéter, d’expliquer ce que l’on se proposerait de faire que de demeurer dans la « critique vertueuse ».

Mais il arrive à Mélenchon de proposer...il propose notamment que le gouvernement organise un référendum sur le Pacte budgétaire européen...

Il pourrait en effet sortir beaucoup de choses d’un tel référendum...Tout dépend des conditions dans lesquelles il serait organisé : il faudrait que ce soit là l’occasion d’un débat préalable, et d’un débat de qualité. Ce pourrait être l’occasion de poser un certain nombre de questions dans le débat public. A condition bien sûr de s’en donner le temps, et de ne pas organiser une telle consultation à la va-vite...et de ne pas flouer, comme cela fut le cas une première fois lors du référendum de 2005, le verdict populaire.

N’est-il pas trop tard pour une telle consultation ?

Non...la décision de voter ce traité ne me fait pas plaisir, et je pense qu’il aurait été très encourageant et très manifeste d’un changement politique si on ne s’y était pas résigné.

Evidemment, on peut dire – et on ne s’en prive pas- que le traité a été signé et que la parole de la France est engagée. Toutefois, on sent bien qu’en France, comme dans les pays alentours, le « fond de l’air », autrement dit l’idéologie dominante, commence à changer. Lentement, mais nettement. Regardez comme on se croit obligé, désormais, pour faire passer la ratification du traité, de le flanquer d’un « Pacte de croissance ». De pur affichage, certes, mais qui montre qu’on est désormais contraint de tenir compte, au moins dans les apparences, des doutes nouveaux et nombreux qui s’expriment ça et là. A cet égard, il sera très intéressant de voir quel sera le nombre des parlementaires de gauche qui ne le voteront pas.

François Hollande vous semble-t-il avoir la possibilité d’infléchir significativement les positions allemandes ?

Ça, c’est une bonne question....A mon sens, il en a la possibilité. Mais ça dépendra beaucoup de l’évolution du climat en Allemagne et du jeu des rapports de force au sein de ce pays.

D’autre part, ça dépendra de la détermination française et de la volonté personnelle d’Hollande. Il faut dire que l’idée de calquer la politique française sur l’allemande fonctionne de plus en plus comme une sorte de garde-fou, de garantie de la poursuite de cette politique inaugurée dans les années 1990 avec le « franc fort », reposant sur l’idée que la parité entre le franc et le mark étaient immuable. L’Allemagne apparaît à beaucoup comme un rempart, une garantie de survie du social-libéralisme.

Social-libéralisme...que vous définissez comment ?

Disons que ça consiste à ne pas chercher de véritable mise en cause des inégalités, à ouvrir chaque jour davantage les voies « aux marchés » et à donner une priorité absolue à la réduction des déficits budgétaires. Autrement dit, on considère qu’il faut absolument diminuer la dépense publique quelle qu’elle soit, sans jamais considérer qu’une proportion importante de la dépense publique devrait au contraire augmenter : celle qui est consacrée à l’investissement. Je pense en particulier à l’éducation, à l’école, à la recherche, à la santé, à la culture.

Sans doute une modification des rapports de forces en Europe peut-elle aider ? Plusieurs pays auront des élections dans les deux ans à venir...

Oui, cela peut permettre d’aider à la lente modification du « fond de l’air ». De petites secousses de ce type ne semblent pas encore de nature à déplacer beaucoup de convictions ni de détermination. Mais à ces petites secousses peuvent s’ajouter prochainement de plus grandes. D’autant plus que l’on va probablement vers un certain nombre de crises sociales importantes. Le chômage croissant en est le signe annonciateur.

Imaginez-vous que certains pays du Sud, sous l’effet de cette crise, justement, puissent quitter la zone euro ?

Ce n’est pas impossible si s’accroît l’intolérance sociale aux mesures d’austérités que subissent les populations pour maintenir leur pays dans l’eurozone.

C’est d’autant plus plausible que dans les pays du Nord de l’Europe, l’opinion est de plus en plus défavorable à cette solidarité qu’on leur impose avec le Sud, et qui leur semble désormais trop coûteuse.

Finalement, ce que la crise montre, c’est que l’idée d’imposer l’uniformité d’une monnaie unique à des sociétés profondément différentes par la culture, par les habitudes, par l’économie était une grande erreur. Et cette erreur est de plus en plus remise en cause, comme en témoignent les nombreux craquement auxquels nous assistons, non seulement en Grèce, en Italie, en Espagne, mais également en Allemagne.

Alors bien sûr, l’euro n’éclatera pas du jour au lendemain. Mais rien n’interdit d’envisager qu’il finisse par se scinder. Soit que certains pays s’en détachent purement et simplement, soient que le Nord et le Sud de la zone décident de se séparer.

Un tel partage en deux vous semble jouable ?..

La question est de savoir si le contraire – c’est à dire le maintien en l’état de la zone euro – restera, lui, indéfiniment jouable !

Mario Draghi semble se montrer offensif et pragmatique. Que peut véritablement la Banque centrale européenne ?

C’est difficile car on tend à attendre de la Banque centrale qu’elle prenne des décisions qui devraient en fait relever d’un Etat fédéral. Lequel n’existe pas.

L’euro, en principe, supposerait un fédéralisme autorisant les transferts budgétaires, seule solution pour pallier l’impossibilité de jouer de l’outil monétaire. Or ce fédéralisme est politiquement impossible, tant il est peu souhaité par la majorité des européens. Comme vous le savez, le budget de l’Union européenne est aujourd’hui négligeable

Revenons-en un instant au Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TCSG). Imaginons que les députés de gauche à ne pas le voter soient nombreux. Quelles en seraient les conséquences ?

Cela nous rapprocherait du moment, dont je crois que la survenue est possible et même probable, où l’on se rendra compte que l’idéologie européiste est condamnée à mort. Ce qui ne veut pas dire du tout que l’Europe l’est également. C’est l’européisme qui est dépassé, et ce que l’on fait actuellement de l’Europe.

D’ailleurs, ce que l’on fait de cette Europe est très vague. Si on demandait aux gens de définir en deux phrases ce qu’est, pour eux, l’Europe, beaucoup seraient incapables de répondre. On nous dit que l’Europe, c’est « l’avenir ». Autrement dit, c’est une idée qui remplace ce que fut jadis la « divine providence ». Il y a quelque chose de religieux dans l’idéalisme européiste.

Tout de même, pour faire face à la montée des grands pays émergents, il nous faut bien acquérir, en nous associant, une certaine taille. Et ça ce n’est pas religieux...

Voilà qui est fort vague ! Pour faire face à quoi exactement ? Pourquoi voulez-vous « faire face » ? La dimension, évidemment, est un élément qui compte. Mais il est loin d’être le seul. La cohérence politique n’est nullement proportionnelle à la dimension d’un pays. Concernant l’Europe, elle est même plus difficile que dans un cadre national, car l’Europe est un conglomérat de sociétés dont les habitudes, les représentations, la mémoire et, pour une part, l’horizon, sont différents les uns des autres.

En France, il a fallu un temps très long, plusieurs siècles, pour constituer une nation, autrement dit un espace pleinement civique. Alors, peut-être que dans plusieurs siècles, l’espace civique ne sera plus national mais supranational. Mais pour l’instant et pour encore longtemps, ce n’est pas le cas. Une association ponctuelle et transnationale de la volonté des citoyens ne suffit pas encore à constituer cet espace pleinement civique, autrement dit un espace dans lequel la solidarité est quasiment sans limite, au point qu’on peut aller jusqu’à donner sa vie pour cela.

En tout état de cause, pour l’heure, l’européisme n’est rien d’autre qu’une idéologie de rechange utilisée par des socialistes qui ont entrepris de se muer en libéraux. Le socialisme qu’ils appelaient de leur vœux étant mort à leurs yeux depuis l’expérience soviétique, ils l’ont tout bonnement troqué.

Peut-on encore être socialiste ?

Bien sûr. Mais en gardant les pieds sur terre. Il est vrai que les expérience de socialisme déclaré, et qui ont défiguré le socialisme, ont échoué. Il faut désormais réfléchir aux conditions qui permettraient de faire renaître des convictions de type socialiste aujourd’hui. Cela me semble passer avant tout par par la correction -notamment via la fiscalité - de ces inégalités devenues bien trop grandes et trop nombreuses dans notre pays.

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