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Intervention de François Asensi* Député pour le groupe GDR sur l’intervention française au Mali

dimanche 20 janvier 2013, par République et Socialisme

Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, Chers collègues,

La situation malienne, aussi urgente soit elle, n’est pas un fait nouveau. Depuis un an maintenant, coup d’état et avancée des sécessionnistes de l’AZAWAD menacent l’intégrité du pays.

J’ai une pensée forte pour le peuple malien, ce peuple ami, otage de l’instabilité et de la terreur imposée depuis des mois par les fondamentalistes islamistes.

On décompte plus de 230 000 personnes déplacées. Leurs familles, nombreuses en France, sont inquiètes et réclament une intervention internationale pour rétablir la démocratie. Nous sommes à leurs côtés.

J’ai également une pensée forte pour nos soldats, engagés sur un terrain périlleux. Je pense à la douleur des familles de nos otages.

Que devait faire la France face à l’offensive des troupes djihadistes lancée jeudi dernier ?

La position des députés du Front de gauche, communistes et républicains, est claire : abandonner le peuple malien aux fous de dieu aurait été une erreur politique et une faute morale.

La non-intervention aurait été la pire des lâchetés.

Une action militaire internationale était nécessaire pour éviter l’installation d’un Etat terroriste.

Les djihadistes du Nord Mali et leurs affidés d’Al-Qaida n’ont qu’un but : imposer à l’échelle de la planète des régimes despotiques, sanguinaires et moyenâgeux. Leur fondamentalisme constitue une forme nouvelle du fascisme.

Ils n’ont qu’une méthode : instrumentaliser l’Islam, religion de paix pour l’immense majorité des musulmans, afin de justifier leurs combats contre la démocratie et les droits des femmes. Mais aussi pour masquer le caractère mafieux de leurs organisations, basées sur le trafic d’armes et de drogues, comme au Sahel, nouvelle plaque tournante.

Les démocraties ne peuvent baisser les bras. Elles doivent soutenir les efforts des progressistes qui en expriment le souhait, comme aujourd’hui au Mali.

Pour autant, nous émettons de lourdes réserves sur l’opération militaire déclenchée, sur sa forme, ses conditions, ses objectifs. Soyons lucides : cette intervention n’apportera pas un Etat malien stable, pas plus que la démocratie, elle n’en est qu’un préalable. La guerre est toujours la dernière des solutions, la moins bonne, la plus incertaine.

Rien ne nous assure que cette intervention ne se termine par un échec, de grande souffrance pour les peuples, des déflagrations en cascade dans l’ensemble du monde musulman.

Ne nous laissons pas bercer d’illusion par un consensus rassurant, et par l’enthousiasme des va t en guerre !

Je parlais de réserves sur la forme. Notre Parlement n’a pas été consulté au préalable, nous le déplorons. L’urgence existait, certes, mais le scénario d’une offensive vers le sud malien était prévisible. Comment croire que cette colonne armée se soit constituée en seulement 48h ?

Cette intervention ne doit pas être la décision d’un Président de la République soucieux d’affirmer son autorité, mais la décision de la France et de l’ensemble de ses représentants.

Nous émettons également des réserves sur ses objectifs.

Monsieur le ministre, il est également impératif de clarifier les buts de cette guerre pour éviter un enlisement que je redoute. Ils sont pour l’heure confus. Assurer la sécurité de nos ressortissants ? Lutter contre le terrorisme ? Assurer l’intégrité du Mali ? Le Président de la République a déclaré que l’intervention durerait “le temps nécessaire”, avant de concéder qu’elle serait limitée dans le temps. Quand considèrera-t-on que la mission de la France est terminée ?

La France doit affirmer clairement l’objectif poursuivi au Mali – appuyer la reconstruction d’un Etat de droit démocratique – et s’y limiter.

Gardons à l’esprit les enseignements de la guerre contre le terrorisme lancée après les attentats terrifiants du 11 septembre. Nos troupes reviennent à peine d’Afghanistan, tirant les leçons de cette impasse.

La lutte sans faille des démocraties contre le terrorisme est bien entendu vitale. Mais si cette lutte devient une guerre armée, où et quand s’arrêtera-t-elle ? Saurons-nous y mettre un terme avant qu’elle devienne contreproductive, en nourrissant l’idée funeste du choc des civilisations et en renforçant les ferments d’union de groupes très divers sous la bannière d’Al Qaida ?

Saurons-nous prendre le dessus sur les troupes djihadistes sans provoquer leur repli au Niger, en Mauritanie, en Algérie, avec une potentielle déstabilisation de ces pays ?

L’acheminement de troupes françaises au sol et de blindés ces derniers jours modifie en profondeur notre engagement. Au risque d’utilisation de boucliers humains sous les frappes aériennes s’ajoute la crainte de nouveaux déplacements de population sur un territoire gigantesque.

On décompte 150 000 réfugiés depuis le début l’enlisement du Mali, 30 000 supplémentaires depuis le début de l’opération française.

Tout doit être mis en œuvre pour éviter une catastrophe humanitaire et protéger les civils.

Si nous partageons la décision de notre diplomatie, nous nous interrogeons sur ses incohérences. La France a soutenu les printemps arabes, bien que trop tardivement, et apportée son concours à l’épanouissement des droits et des libertés, notamment pour les femmes.

Dans le même temps, notre pays entretient des relations troublantes avec certaines composantes du monde arabe. Oui, il faut en finir avec la guerre en Syrie et le régime despotique de Bachar El Assad, mais faut-il pour cela appuyer des mouvances fanatiques ? L’Occident a trop souvent joué aux apprentis sorciers.

Faut-il montrer tant d’indulgence envers les pétromonarchies arabes, au premier rang desquelles le Qatar ? Ce pays, ennemi des droits de l’homme, joue un double jeu infernal en jouant sur les divisions du monde islamique, entre chiites et sunnites. Il n’hésite pas à déstabiliser des régions entières pour appuyer des régimes obscurantistes.

J’en viens aux réserves sur les conditions de déclenchement de cette opération et à la position de la communauté internationale.

L’option militaire n’avait rien d’inéluctable, elle n’est due qu’aux faiblesses et aux lenteurs de la communauté internationale et du pouvoir malien lui-même. « En aucun cas, la France n’interviendra elle-même au Mali », affirmait François Hollande en novembre.

Il y a deux semaines encore, la voie politique, de la négociation, était privilégiée.

La résolution 2085 du 22 décembre, selon la lecture même de notre ambassadeur à l’ONU, « n’était pas une déclaration de guerre ». Elle posait de nombreux préalables avant tout recours à la force.

D’une part, un effort du pouvoir malien pour répondre à la question touarègue et organiser de nouvelles élections. D’autre part, une préparation militaire conséquente de l’armée malienne et des partenaires africains.

Aucune de ces conditions n’est réunie. Nous partons donc en guerre dans la plus mauvaise des configurations, dans l’impréparation, avec les immenses périls que cela comporte.

La résolution onusienne autorisait le déploiement d’une « mission internationale sous conduite africaine », or l’opération « Serval » s’avère être d’abord une « opération franco-française ». L’intervention de la France doit retrouver au plus vite le cadre onusien. Les troupes des pays africains doivent prendre le relais de cette intervention.

Notre pays a pris ses responsabilités, mais le cavalier seul de la France est préoccupant. En effet, il nous isole sur la scène diplomatique, nous expose en termes de sécurité et nuit à la crédibilité même de l’intervention.

La communauté internationale, nos alliés, font assaut de déclarations pour saluer notre engagement, sans apporter de solidarité en actes. Le soutien unanime masque une lâcheté générale. Cet attentisme est consternant.

Quand conforterons le système onusien en réformant les mécanismes de décision qui le sclérosent ?

Je pose également la question : où est l’Union européenne dans ce conflit ? Son inertie illustre l’impasse actuelle de la construction européenne.

Notre intervention militaire dans une ancienne colonie française recueille le soutien de l’opinion africaine et de ses représentants. L’Algérie a ainsi ouvert son espace aérien et fermé ses frontières. Cette coopération relative n’était pas couru d’avance, elle est à metter au crédit du dégel de nos relations ces dernières semaines.

Elle suscite néanmoins un certain malaise, probablement en raison du deuil impossible et inachevé de la Françafrique.

Comment ne pas percevoir le poids de la colonisation dans le conflit actuel et l’héritage de frontières tracées artificiellement ?

Au Mali comme sur l’ensemble du continent, les impérialismes ont déchiré des régions, aggloméré des peuples rivaux, afin de préserver leur influence sur ses richesses.

Ce temps doit être véritablement révolu, en Centrafrique, au Gabon, au Niger. Des engagements ont été pris, nous attendons des gestes forts, au plus vite.

L’Afrique est la chance de notre planète. Nous devons conforter les efforts de ses peuples pour retrouver leur dignité et assurer leur développement, sans ingérence ni domination.

La solution au chaos et à la déstabilisation du continent africain n’est pas militaire, mais politique, sociale et économique. Les pays du Nord doivent enfin promouvoir un développement partagé de la planète. L’Afrique est une terre de grande richesse. Ses richesses premières doivent bénéficier aux peuples, et non être pillées. Ses richesses humaines et intellectuelles, elles aussi, doivent pouvoir rester dans leur pays et participer au progrès de leur société, et non être contraintes à l’exil en Occident.

Il a beaucoup été question de l’ « homme africain » dans un passé récent.

Cet homme africain, la femme africaine, sont pleinement dans l’Histoire de notre temps, ils sont les acteurs du monde de demain. Respectons-les, marchons à leurs côtés !

Nos amis africains attendent de la France cette relation d’égal à égal, soucieuse de leur devenir.

P.-S.

* François Asensi est Député de Seine-Saint-Denis (FASE) – Maire de Tremblay-en-France

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