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Métropolisation

Par Alexis Martinez*

jeudi 12 décembre 2013

Le 10 décembre 2013 a débuté la deuxième lecture à l’Assemblée Nationale du premier volet de l’acte III de la décentralisation, qui organise l’action publique territoriale autour des métropoles et communautés urbaines.

Un renforcement des inégalités territoriales

Les dix dernières années se sont caractérisées par un accroissement continu des inégalités. Aussi bien les inégalités sociales que les inégalités territoriales. Loin de contrarier cette tendance, le texte d’affirmation des métropoles les renforce. En effet, cet acte III de la décentralisation, directement hérité du gouvernement précédent, de droite, s’inscrit dans le même état d’esprit que le précédent de 2003, rompant avec la tradition de la gauche en la matière. La décentralisation telle qu’elle a été conçue et mise en oeuvre par la gauche repose sur une déconcentration permettant aux collectivités de bénéficier du soutien de l’état. Le gouvernement a rompu avec cette tradition : tout en se voyant confier plus de responsabilités et de compétences, les collectivités sont privées du soutien de l’état et sont très contraintes financièrement. Conçue sur le modèle et suivant la feuille de route établis à Lyon depuis maintenant plusieurs années, la métropolisation dévoie les outils de l’aménagement des territoires. Ainsi de l’intercommunalité conçue comme réponse unique et uniforme à tous les enjeux de l’aménagement territorial et qui perd son caractère d’association libre pour devenir une contrainte pesant sur les communes. Exiger des solidarités intercommunales, les imposer parfois, peut faire sens, mais à condition que cela s’inscrive dans un plan national d’aménagement du territoire au service des populations. Or il n’en est rien, et c’est dans l’optique d’une concentration accrue des moyens dans les métropoles pilotée à l’échelle régionale que s’opèrent ces regroupements.

Dans notre pays, la France, où les collectivités sont à l’origine de plus de 70% de l’investissement public au service des populations, les regroupements forcés empêchent l’existence d’une action publique adaptée et disposant de moyens à la hauteur de ses tâches. Des compétences librement transférées aux intercommunalités existantes sont remises à la charge des communes, tandis que d’autres qu’elles avaient conservées par soucis d’efficacité leurs sont retirées, le tout dans la perspective d’une organisation en pôles urbains et ruraux, au détriment de l’intégrité territoriale. Cette transformation de l’intercommunalité en outil d’intégration forcée fait des collectivités les vecteurs de l’inégalité territoriale, alors qu’elles devraient au contraire avoir vocation à renforcer la cohésion nationale. De nouvelles entités administratives, plus nombreuses et plus puissantes, telles que les communautés urbaines et les métropoles, vont se développer au détriment de nos communes et de nos départements, dont l’action est pourtant plébiscitée par nos concitoyens. Se dessine ainsi une France à deux vitesses distinguant les territoires relevant de la métropole, qui concentrent pouvoirs et ressources, et les autres territoires, laissés en grandes difficultés et voués à la relégation aux marges des grands centres. C’est l’abandon d’une conception harmonieuse et équilibrée du territoire national au profit d’une mise en concurrence des territoires, menaçant directement la péréquation entre les collectivités. Les solidarités nationales vont ainsi peu à peu disparaître, remplacées par des soutiens limités à l’intérieur même des territoires, renforçant le clientélisme et réduisant les moyens de l’action publique.

Une atteinte à l’égalité entre les citoyens

S’il est nécessaire de renforcer la coopération entre l’état et les collectivités, ainsi qu’entre les différentes collectivités, cela ne signifie pas le transfert des compétences ni le désengagement de l’état. Or c’est ce qui se dessine aujourd’hui. Le projet de loi prévoit en effet que l’état ne puisse plus intervenir dans un certain nombre de domaines, déléguant aux collectivités un certain nombre de ses compétences, ce qui aboutit à une action publique différenciée en fonction des territoires. Cette atteinte à l’égalité entre citoyens confirme la voie prise en 2003 avec l’introduction de l’expérimentation législative dans les collectivités par le gouvernement Raffarin. La loi de la République non seulement ne sera plus la même pour tous, mais s’appliquera qui plus est selon des modalités et avec des moyens différents suivant les lieux d’habitations. Les métropoles et communautés urbaines, concentrant l’essentiel des capacités de développement, pourront ainsi, plus encore qu’aujourd’hui, faire bénéficier leurs habitants de possibilités inaccessibles à ceux de communes marginalisées. C’est particulièrement criant en matière d’habitat : alors que d’ores et déjà l’accès au logement est fortement contrasté d’un territoire à un autre, les inégalités ne feront que s’accroître entre habitants de territoires urbains et ruraux d’une part, centraux et périphériques d’autre part, tandis que les grands centres auront la mainmise sur la politique du logement. Il en ira de même pour le maillage territorial des services publics, déjà actuellement bien mis à mal.

Une attaque contre la démocratie

Ce premier volet de l’acte III de la décentralisation va à l’encontre d’une démarche de décentralisation autour des droits et libertés locales, dans laquelle l’état assure une présence forte aux côtés des communes pour assurer la cohérence d’ensemble et l’égalité entre les territoires. Il ajoute aux inégalités sociales les inégalités territoriales, le tout dans l’irrespect total de la démocratie de proximité. Alors que les lois Vaillant sur les dispositifs participatifs ont montré depuis plus de dix ans maintenant la nécessité d’impliquer les habitants dans les décisions de l’administration locale des territoires, l’architecture territoriale nouvelle, en éloignant les citoyens des lieux de décision, attaque directement la démocratie de proximité, pourtant socle proclamé de la décentralisation. Plutôt qu’une véritable décentralisation permettant au principe de libre administration des collectivités de recouvrir une réalité, c’est à une démultiplication des centres que nous assistons. Le désengagement de l’état au profit des collectivités, et tout particulièrement des métropoles et communautés urbaines, ne fait qu’imposer aux communes une centralisation nouvelle, opaque et autoritaire, éloignée des citoyens et dans laquelle les élus locaux les plus proches des habitants seront tenus à l’écart des questions primordiales de l’administration quotidienne des territoires. « Les métropoles constituent un danger réel de marginaliser le maire et les élus », indique ainsi à juste titre Jacques Pélissard, président de l’Association des Maires de France.

Le cas de la métropole parisienne illustre malheureusement à merveille ce processus de marginalisation et de dépossession de leurs prérogatives d’administration locale des élus. En effet, alors qu’une grande majorité des 200 membres de Paris Métropole, la seule instance réunissant les élus de tous bords de la région Île-de-France, s’est prononcée en faveur d’une métropolisation alternative, multipolaire et respectueuse de la démocratie de proximité, construite en accord avec les élus et les populations, la métropole parisienne reste conçue comme une construction bureaucratique sanctionnant la fracture entre petite et grande couronne et réduisant le rôle des communes associées à celui de mairies d’arrondissements. La substitution d’un EPCI (Établissement Public de Coopération Intercommunal), unique et doté d’une fiscalité propre, à ceux déjà existants dans le cadre des multiples intercommunalités franciliennes est d’ores et déjà acté, programmant l’assèchement des ressources communales et l’extinction des intercommunalités librement établies, sans qu’à aucun moment la possibilité d’une consultation populaire soit seulement envisagée. De l’aveu même de ses partisans à l’Assemblée Nationale et au Sénat, la métropole parisienne telle qu’elle est actuellement élaborée n’est qu’une simple étape vers une métropole totalement intégrée ! A Paris comme dans les treize autres métropoles prévues par le projet de loi, la métropolisation du territoire de la République aurait à tout le moins nécessité un grand débat national. Alors que les élections municipales sont proches, personne aujourd’hui n’est en mesure de dire quelles seront les compétences et les moyens dont disposeront les municipalités élues pour répondre aux attentes des citoyens. Plutôt que de tirer parti de la proximité des élections municipales pour mener un débat parlementaire approfondi, le gouvernement a décidé d’un débat tronqué et d’un vote rapide. Il entend bien ainsi répondre aux injonctions de réduction des dépenses publiques décidées le 29 mai dernier lors de la réunion du Conseil de l’Union Européenne.

Un texte rédigé à Bruxelles sous le diktat de la finance

Réduction des dépenses, concurrence des territoires, éclatement de la société en pôles de compétitivité au détriment de l’intégrité territoriale de la République et de la fraternité entre les citoyens... toutes ces mesures correspondent à des injonctions européennes. Des injonctions auxquelles le gouvernement apporte son consentement et même son concours : le « programme de stabilité de la France » a été édicté et adopté par le Conseil de l’Union Européenne, qui réunit les gouvernements des états membres, avec la participation active du gouvernement français. L’organisation communale française, originalité dans le paysage européen, est régulièrement attaquée au nom de la « modernisation » de l’action publique territoriale. Une « modernisation » qui se veut en fait l’alignement sur le canon européen de communes plus importantes avec moins d’élus et qui appartiennent à des sous-ensembles régionaux auto-administrés. Pourtant, ce sont plus d’un quart des citoyens français qui vivent aujourd’hui dans des communes de moins de 2 500 habitants, et cette proportion est en constante augmentation depuis dix ans. La proximité des élus et des services publics assure à nos concitoyens une qualité de vie que la réunion des communes en « pôles de compétitivité » serait incapable de leur fournir, sans même parler d’un éventuel fonctionnement autonome des « eurorégions » fondées sur des seuls critères de proximité économique.

L’« acte III de la décentralisation » s’avère avoir pour objectif principal l’adaptation des territoires à une mondialisation financière reposant sur l’uniformisation et la standardisation d’une main d’oeuvre immédiatement disponible. Il consacre ainsi la « concurrence libre et non faussée » des territoires comme mode d’administration des collectivités et pollue la République avec une forme nouvelle de féodalisme en promouvant l’autonomie administrative, réglementaire voire législative d’ensembles régionaux détachés des citoyens, au bénéfice exclusif d’intérêts financiers. Écrite à Bruxelles avec l’assentiment réjoui du gouvernement français, cette loi est avancée sous le diktat de la finance.

République et Socialisme membre du Front de Gauche réaffirme son attachement profond à l’unité et à l’indivisibilité de la République, aux services publics et à la démocratie de proximité, ainsi que son rejet frontal d’une loi renforçant les inégalités sociales et territoriales, morcelant la République, mettant en concurrence les collectivités, tenant les citoyens à l’écart et accomplissant les volontés de la finance. La redynamisation de nos territoires ne peut être réussie sans le maillage fin du territoire par les services publics ni sous le joug du libéralisme effréné promu à Bruxelles. Pour une décentralisation respectueuse de la population, nous affirmons la nécessité de respecter trois principes fondamentaux : l’unité et l’indivisibilité de la République, la libre administration des collectivités territoriales, et le principe de subsidiarité démocratique.

P.-S.

Alexis Martinez est membre du Conseil National de République et Socialisme

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