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Une épidémie d’austérité

Par Francis DASPE Membre de l’AGAUREPS-Prométhée

samedi 4 décembre 2010, par République et Socialisme

« Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés ». Chacun aura reconnu un des vers de la fable de La Fontaine, « Les animaux malades de la peste ». D’une certaine manière il est possible de leur conférer une actualité renouvelée en établissant un parallèle éclairant avec la crise économique qui sévit depuis deux années en Europe . Elle touche tous les pays européens qui sont sommés (ou se saisissent de l’occasion, cela pourrait être l’objet d’un débat à part entière…) de mettre en place des plans de rigueur et d’austérité draconiens. Certains d’entre eux, les plus affaiblis (ou les plus attaqués par les marchés financiers, ce qui ne coïncident pas automatiquement, et pourrait être l’objet d’un autre débat à part entière…), en sont réduits à solliciter l’aide extérieure de l’Union européenne et du Fonds monétaire international. Il y eut la Grèce. Il y a désormais l’Irlande. On parle de l’Espagne et surtout du Portugal. Et même de Chypre. En attendant d’autres, comme la France peut-être ? Ceci n’est pas à exclure tant on pensait généralement inconcevable il y a quelques années qu’un tel sort puisse arriver à un pays européen.

Le cas de l’Irlande, deuxième pays de la zone euro qui va bénéficier (ou subir, serait-il plus juste de dire) d’un plan de soutien, est à cet égard édifiant et emblématique. Pour les Irlandais, pas de doute possible : la rigueur est bel et bien à l’ordre du jour ! Jugez-en plutôt. L’objectif du plan de rigueur irlandais vise à ramener le déficit de 32% du produit intérieur brut à 3% en 2014. Soit de le diviser par dix en quatre ans ! Une grande partie du déficit a été causé par l’injection massive de liquidités de la part du gouvernement afin de sauver de la faillite les banques irlandaises victimes de l’éclatement de la bulle immobilière. Les sommes en jeu sont évidemment considérables. Les aides gouvernementales dont ont bénéficiées les banques se chiffrent à environs 50 milliards d’euros. A peine moins que le déficit public enregistré cette année par l’ancien « tigre celtique ». Le plan d’aide conjointement négocié par l’Union européenne et le FMI devrait s’élever à 85 milliards d’euros, soit l’équivalent de quasiment la moitié du PIB irlandais. Des chiffres à donner réellement le vertige ! Et encore plus avec le contenu du plan d’austérité concocté par le premier ministre Brian Cowen…

Les dispositions envisagées sont en effet drastiques. Il est prévu de trouver 15 milliards d’euros sur les quatre prochaines années, se subdivisant en deux chapitres : 10 milliards d’économies, 5 milliards de revenus supplémentaires résultants de hausses d’impôts. Dans cette enveloppe globale, la répartition est inégale au long de ces quatre années. Six milliards d’euros sont à dégoter dès la première année, soit 40% du total en 2011. C’est une véritable saignée sociale que les citoyens irlandais vont devoir affronter sans autre préavis. Les dépenses sociales vont de ce fait être amputées de 2,8 milliards d’euros : mauvais temps en perspective pour les familles et les demandeurs d’emploi qui verront les allocations familiales et chômage baisser fortement. Mais aussi pour ceux qui ont un emploi : nombre de salariés vont être affectés par la réduction du salaire horaire minimum qui passera de 8,65 euros à 7,65 euros. Sans oublier les inévitables, et en définitive tellement dogmatiques, suppressions d’emplois publics : 25 000 postes de fonctionnaires en moins de prévu. Les hausses d’impôts résulteront d’une augmentation de la TVA, impôt injuste par excellence, et de l’instauration d’une nouvelle taxe foncière. Tout cela pour 4,3 millions d’Irlandais… Si peu pour supporter tant ! Et ce d’autant plus que les Irlandais ont déjà été fortement éprouvés par la dépression économique. C’est ainsi que le revenu annuel moyen par ménage a baissé de 7% l’an dernier. Une enquête prospective a déterminé que le plan d’austérité coûtera annuellement 4600 euros à chaque famille pendant les quatre ans.

Un des arguments utilisés pour faire avaler la pilule insiste sur la nécessité, au regard du caractère exceptionnel et gravissime de la crise, d’accepter des sacrifices au nom de l’intérêt général et de partager le fardeau du redressement des finances publiques. Difficile cependant de croire à la sincérité de tels propos. Des indicateurs objectifs montrent si besoin en était que le fardeau ne sera pas équitablement partagé. Une fois de plus les conséquences seront supportées par ceux qui ne sont en aucune manière responsables du déclenchement de la crise : les catégories sociales les plus modestes. Les banques ont imprudemment pris des risques dans l’euphorie de gains considérés à tort comme illimités, tant par les montants que dans la durée ; elles ont perdu et réclamé à cor et à cris des plans de renflouement de la part de la collectivité ; elles ont de ce fait grevé durablement et profondément les comptes publics. Voilà qu’elles exigent que les efforts de comblement des déficits reposent principalement sur les citoyens les plus modestes. Nul doute qu’une fois qu’elles réaliseront à nouveau des profits ils seront réservés aux mêmes actionnaires avides qui n’auront rien appris ! Autrement dit, la règle ainsi édictée est on ne peu plus simple : socialiser les pertes, privatiser les bénéfices. Le fardeau n’est nullement partagé. Il s’agit au contraire de mesures de classe. C’est ainsi qu’il convient d’interpréter le refus de toucher au taux d’imposition des sociétés de 12,5% qui avait favorisé l’essor du tigre celtique. Banques, entreprises, hauts revenus et marchés financiers sont de la sorte en grande partie préservés de la cure d’austérité administrée à la majorité de la population. C’est aussi se priver de la sorte de recettes fiscales qui auraient été bienvenues et justes dans la perspective d’un meilleur partage des efforts consentis. On peut douter dans ces conditions de la sincérité à vouloir partager collectivement le fardeau. Ne nous y trompons pas : l’intérêt général allégué ne correspond en fait qu’aux intérêts d’une minorité de privilégiés qui se sont comportés la plupart du temps en pyromanes inconséquents.

Les injonctions de la Commission de Bruxelles et du FMI, qui conditionnent l’octroi du plan de soutien à l’adoption d’une politique de rigueur extrême par le gouvernement, posent un véritable problème de souveraineté du peuple irlandais. Celui-ci avait déjà subi la conception pour le moins particulière de la démocratie véhiculée par les instances européennes. On se souvient encore de l’obligation qui avait été faite aux Irlandais de revenir aux urnes suite à leur premier vote négatif au référendum portant sur l’adoption du traité de Lisbonne. Car visiblement, il n’y avait qu’une bonne réponse possible et autorisée : oui à la concurrence libre et non faussée. Pour le FMI, il s’agit d’une réplique des fameux plans d’ajustement structurels qui avaient causé tant de dégâts sociaux en Amérique du Sud, en Asie et en Afrique. Voilà le tour du continent européen venu… Pour l’Union européenne, l’enjeu est quelque peu différent : les créances de toute nature détenues par les banques européennes en Irlande s’élèvent à près de 400 milliards d’euros. L’opération revient en définitive à sauver ses propres banques. Charité bien ordonnée commence par soi-même… Dire que les banques imposent leur loi ne relève vraiment pas de l’exagération. La répartition des 85 milliards d’euros d’aides accordées à l’Irlande conforte notre analyse. En effet, 35 milliards d’euros sont destinés aux banques irlandaises (10 milliards pour des mesures de recapitalisation immédiates, 25 milliards pour des mesures de soutien en fonction des nécessités). Les 50 milliards d’euros restant seront destinés à couvrir les besoins budgétaires de l’Irlande. On constate qu’il s’agit du montant des aides que le gouvernement irlandais avait consenti pour sauver les banques, injection de liquidités qui sont la cause de l’énorme déficit du pays. Décidément, les décisions prises tournent autour des intérêts particuliers du secteur bancaire ! On peut également se poser des questions quant à la légitimité du gouvernement de Brian Cowen à imposer de telles décisions. Il est en passe de réaliser un prodigieux tour de passe-passe antidémocratique. Ne bénéficiant plus d’un quelconque soutien populaire, il a promis de convoquer des élections anticipées (qui seront sans aucun doute celles de sa révocation) pour le mois de février ou de mars 2011, mais à condition que le Parlement préalablement accepte d’un même élan le budget 2011 et le plan de rigueur quadriennal. Autrement dit des mesures qui plomberont et engageront les orientations du prochain gouvernement en réduisant de manière significative ses marges de manoeuvre, et ce quel que soit le message que les électeurs irlandais délivreront dans les urnes. C’est vider de toute portée et de tout enjeu politiques les élections législatives à venir.

Le cas irlandais n’est malheureusement pas isolé, les Grecs ne le savent que trop bien au même titre que les peuples du Sud qui au cours des deux dernières décennies ont servi de champ d’expérimentation des politiques néolibérales codifiées dans le consensus de Washington . Ces aides ne sont bien évidemment pas des cadeaux charitables. Les taux d’intérêts sont véritablement usuriers, aux alentours de 6%. Cela coûtera chaque année aux Irlandais plus de 5 milliards d’euros en intérêts de la dette à rembourser pendant 9 ans. L’austérité imposée sur le dos des peuples représente une véritable pathologie. Il est urgent de mettre fin à cette épidémie dévastatrice par une réaction citoyenne qui imposerait le respect de la souveraineté populaire et l’intérêt général. Une disposition, d’un cynisme absolu, a été peu mise en exergue : une partie des liquidités mobilisées par le gouvernement irlandais sera ponctionnée sur le Fonds national de réserve pour les retraites. Il n’y a sûrement pas meilleur argument pour démontrer la mauvaise foi partisane des mesures d’austérité prises par un cénacle de dirigeants inféodés aux intérêts des marchés financiers. Il ne faut pas être grand devin pour discerner un des prochains sacrifices qui sera imposé aux citoyens irlandais très prochainement au nom d’un « fardeau partagé » : une dégradation des conditions d’accès à la retraite…

P.-S.

1 Voir le texte de Francis Daspe, Une crise financière à deux visages, novembre 2008, www.agaureps.org

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